Christine Boisson, actrice discrète mais farouchement audacieuse, nous a quittés ce 21 octobre 2024 à Paris, des suites d’une maladie pulmonaire que sa fille, Juliette Kowski, n’a pas hésité à qualifier de "maladie du fumeur." À 68 ans, celle qui n’a jamais vraiment cherché les feux de la rampe laisse derrière elle une carrière marquée par des choix résolument féministes, un regard critique sur l’industrie du cinéma, et surtout, une intransigeance face aux stéréotypes de "femme-objet" qui ont tenté de l’enfermer. Christine Boisson, c’était l’élégance de dire non, avec un sourire en coin.
Le poids des premiers rôles (et des vêtements en moins)
Christine Boisson s’est fait connaître à 17 ans dans ce qu’on pourrait appeler, sans rougir, une entrée fracassante dans le cinéma : le sulfureux Emmanuelle (1974) de Just Jaeckin. Un rôle de jeune femme à moitié dévêtue dans une jungle érotique, que demander de plus pour lancer une carrière dans les années 70 ? Eh bien, beaucoup, justement. Elle incarne Marie-Ange, un personnage secondaire dont le prénom a, il faut bien l’avouer, un côté angélique bien ironique. Ce rôle lui ouvre les portes du cinéma… mais uniquement celles qui ne mènent pas bien loin, du moins pas là où elle le souhaiterait. L’industrie ne voyait en elle que ce qu’elle montrait — ou ce qu’on lui demandait de montrer.
Mais très vite, Christine Boisson refuse ce raccourci facile vers la célébrité. Une autre aurait peut-être plié sous les propositions alléchantes (lire ici : les cachets bien dodus), mais pas elle. Elle choisit le Conservatoire national supérieur d’art dramatique de Paris pour aiguiser son art, comme on entre en résistance. Car oui, résister au cinéma de cette époque, c’était aussi résister à l’envahissante tentation d’être réduite à une silhouette. Un choix qui aurait pu sembler suicidaire pour une carrière, mais qui, avec du recul, fait d’elle l’héroïne silencieuse d’une autre forme de lutte.
L’avant-gardisme d’une femme qui ne veut pas juste "paraître"
Christine Boisson a tout de la pionnière. Refuser d’être cantonnée à des rôles de potiches quand toutes les caméras du moment s’attardaient sur les courbes des jeunes actrices ? Sacrilège ! Pourtant, elle le fait, et avec panache. À une époque où les réalisateurs n’avaient d’yeux que pour l’apparence, Christine, elle, demande du texte, du relief, et surtout de la profondeur. « Mon corps ne sera pas mon seul atout », semble-t-elle dire à une industrie plus habituée aux courbettes qu’aux coups de gueule.
C’est avec Extérieur, nuit (1980) de Jacques Bral qu’elle fait son grand retour, cette fois dans un rôle de chauffeuse de taxi. Cora, son personnage, est aussi mystérieuse que forte. Enfin, Christine est vue pour ce qu’elle est : une actrice de talent, pas un corps ambulant. Et là, la transformation s’opère : adieu les rôles superficiels, bonjour les collaborations de prestige avec des réalisateurs comme Michelangelo Antonioni dans Identification d’une femme (1982), où elle joue un rôle complexe, quasi-insaisissable. Un personnage qu’on regarde, certes, mais qu’on écoute surtout.
La discrétion, un choix de vie
Christine Boisson n’a jamais cherché à devenir une star au sens hollywoodien du terme. Être à la Une des magazines ? Très peu pour elle. Ce qu’elle veut, c’est l’intégrité. Et c’est dans cette discrétion qu’elle trouve son équilibre. La facilité de devenir une vedette ? Non merci. La rigueur d’une filmographie pointue et réfléchie ? Absolument. Ses collaborations avec Philippe Garrel, Claude Lelouch, ou plus récemment avec Maïwenn dans Le Bal des actrices (2009) montrent bien sa capacité à choisir ses rôles avec soin. Christine Boisson, c’était une épicurienne du cinéma : elle ne goûtait qu’à ce qui avait du sens, même si cela signifiait rester en retrait.
Un combat bien plus grand qu’elle
Ce qui rend Christine Boisson inoubliable, au-delà de ses choix audacieux, c’est la cause qu’elle a défendue toute sa vie : celle de la femme libre à l’écran. Elle aura lutté pour que l’on cesse de voir les actrices uniquement comme des objets de désir, un combat qui résonne encore aujourd’hui. Son engagement, c’était un "non" perpétuel à la réduction de son art à son apparence. Un "non" à la facilité. Mais surtout, un "oui" à la reconnaissance du talent féminin dans toute sa profondeur.
Si elle n’a jamais été une icône populaire, Christine Boisson aura marqué, de façon plus discrète mais tout aussi percutante, un cinéma en quête de renouveau. Sa détermination à ne pas se laisser enfermer dans les stéréotypes d’une époque où tout tendait à sexualiser les actrices est un héritage précieux pour toutes celles qui ont suivi. Une carrière marquée par des refus ? Peut-être. Mais surtout par des affirmations : celle d’être vue pour ce qu’elle était vraiment.
Alors, en hommage à Christine Boisson, il est bon de rappeler que dire "non" à certains rôles peut être, parfois, le plus grand rôle de sa vie.